Alors que les Belges viennent de sortir leur single My Head Is Into You à l’occasion du Record
Store Day 2014, nous avons rencontré la folle équipe de BRNS au bord du canal
Saint-Martin le 29 avril dernier, la veille de leur concert au Point Ephémère. Avec Antoine Meersseman (basse, synthé et chant)
et Tim Philippe (batteur et chanteur), nous avons discuté de leur prochain album
Patine qui paraîtra le 25 août
prochain. Ensuite, on s’est demandés ensemble pourquoi la scène belge
produisait autant de talents, avant d’aborder leurs envies d’ailleurs.
Tim Philippe, César Laloux, Antoine Meersseman et Diego Leyder |
En 2011 vous sortiez votre premier 45 tours. En 2013, vous
avez publié Wounded pour le Record
Store Day, et cette année c’est My Head
Is Into You qui est paru pour l’occasion. Pourquoi cet attachement
particulier pour le vinyle ?
Antoine : Ce n’est pas vraiment une question de son,
mais plutôt une question d’objet. Déjà, c’était chouette de marquer le coup
pour le Record Store Day. C’est l’occasion de sortir des éditions plus limitées
avec des graphismes un peu différents et de s’amuser. Etant donné la dématérialisation
de la musique actuellement, sortir juste un disque, ça devient pas hyper
attractif. Les gens savent trouver la musique n’importe où, donc le but c’est
de proposer un objet de qualité. En fait, tu te dis : « je vais peut-être jamais le foutre sur ma
platine, mais j’ai juste envie d’avoir un beau visuel en grand, quelque chose
qui soit classe et soigné ». Les premiers vinyles qu’on voulait faire,
c était des sérigraphies qu’on a pliées et numérotées à la main. Ça ne donne
pas l’impression d’acheter un bout de plastique qui sort de l’usine.
Tim : On aime bien le côté home made. On avait bien
plié nos petits cartons, on avait même écrit les codes de téléchargement à la
main…
Antoine : Avec plein de fautes !
Tim : On devait aller vite, et parfois tu as un 5 et tu
le confonds avec un S…
Antoine : Des dizaines de personnes nous ont écrit pour
nous redemander les codes !
Quelle est
l’histoire de My Head is Into You?
Antoine : C’était une idée que tu avais commencée, avec
des accords et des voix super triturées. On a retravaillé la rythmique pour en
faire quelque chose de plus lourd et de « hip hop ». On a vraiment
travaillé ensemble le côté super ample de la fin. On avait le début et le pont,
il nous manquait toute la fin, qu’on a retravaillée lors d’une session à la
campagne tous ensemble dans un petit local.
Tim : La plupart des morceaux ont été composés à quatre,
ce qu’on faisait moins avant. C’est un des premiers morceaux du disque. L’histoire
est très abstraite. Elle parle d’un gars qui a sa tête dans quelqu’un d’autre,
littéralement. Il est un peu sujet à moqueries, mais il répond que sa tête sert
à l’autre de rempart et qu’ils se sentent bien à deux. Tu peux imaginer un
dessin un peu étrange d’un mec qui a sa tête à l’intérieur d’un autre, c’est
très bizarre.
Vous vous isolez souvent pour composer ?
Antoine : C’est quelque chose qu’on a fait pas mal sur
ce disque-là car on composait d’une manière assez figée, d’abord à deux puis
avec Diego à la guitare. Toujours en deux temps. Ici, tous les morceaux ont été
composés vraiment différemment avec une idée de base travaillée à deux, puis
retravaillée à quatre. Il y a plein de morceaux qu’on a composés directement tous
les quatre, en jammant jusqu’à trouver une idée qui tourne bien. On
enregistrait parfois un passage très court, juste un riff, et après on brodait autour. On est partis
quatre fois quatre jours pour s’écarter un peu, parce que c’est quand même sain
de se mettre dans une vraie ambiance de travail, hors de Bruxelles et de toutes
les soirées qui en découlent. C’est aussi ce qu’on va devoir refaire cet été
pour préparer le prochain. C’était l’occasion de bien avancer sur les morceaux
et c’est vrai que comme on avait très peu de temps avec la tournée pour
composer, on en a profité dès qu’on avait une semaine pour se casser à la
campagne.
Votre album Patine va sortir le 25 août, où en êtes-vous,
vous pouvez nous en dire un peu plus ?
Tim : Tout est enregistré et mixé depuis longtemps en
fait. A la base, on voulait sortir le disque plus tôt, pour le Record Store Day.
Puis, ça devait être la date de sortie hier (le 28 avril, ndlr). Mais
finalement, le sortir après l’été,
c’était plus propice à de grosses tournées d’automne.
Vous allez ressortir un single avant l’été ?
Antoine : Probablement
pas. On laisse My Head Is Into You
faire son bonhomme de chemin. Il y a un clip qui est en préparation, qu’on va
ressortir juste avant les grandes vacances. Après, on sort le disque dans la
foulée.
Comment a évolué votre musique sur cet album par rapport à Wounded ?
Tim : C’est un peu moins évident, il n’y a pas de Mexico, pas de morceau vraiment up tempo.
C’est peut-être plus triste, plus sombre, plus noir qu’avant. Je crois que les
deux morceaux qu’on a sorti, Void et My Head Is Into You, donnent un aperçu de
la tonalité de l’album. C’est clair qu’on s’est dirigés vers quelque chose de
plus mélodique aussi, de moins tribal. On a toujours fait des morceaux assez longs.
Cette fois, ça varie vraiment beaucoup au niveau des longueurs : certains
sont vraiment assez courts, mais il y a moins de cassures, c’est plus ambiancé,
avec des morceaux un peu « what the fuck » au milieu, comme ça, tout
d’un coup.
C’est-à-dire ?
Tim : Le dernier morceau du disque est le dernier qu’on
ait composé historiquement. On l’a terminé quatre jours avant de rentrer en
studio et quand on l’a composé on s’est dit : « allez, ça sera le dernier titre, rien à foutre ! ». Du
coup, on s’est vraiment fait plaisir en faisant les gros gros bourrins. Finalement
sur Wounded, Our Lights était le dernier titre qu’on avait composé ; on l’a
mis à la fin du disque, et c’est vrai que ça ouvrait vers un truc qui est plus
de l’ordre de Patine, en fait. Ça fait une petite connexion. Ici, on a ce dernier titre qui n’a absolument rien à
voir avec le reste du disque et qui amène vers on ne sait pas quoi, donc c’est
assez chouette.
Pourquoi vous l’avez appelé Patine ?
Tim : La patine, c’est un peu les restes de matière,
l’usure du temps. On a trouvé le titre de l’album par rapport aux visuels qui
ont été faits par notre ami Boris. Il a travaillé sur des plaques en acier
qu’il a lui-même découpées, superposées
et soudées pour en faire des strates géologiques. Il a utilisé un produit qui s’appelle
un rouillant. Il a rouillé à vitesse très accélérée l’acide, ce qui donne
beaucoup de couleurs, des trucs très orangés et de temps en temps de l’acier
pur, ce qui fait de très beaux contrastes. On aimait cette idée de matière et
de contraste. Et lui, il avait fait ce visuel en pensant que dans ce disque, il
y avait beaucoup de superpositions de différentes couches sonores. Il a
symbolisé ça par la matière. C’est un bel hommage. On a fait ça aussi pour Wounded : on n’avait pas de titre,
mais quand on a vu le dessin que Carl avait réalisé avec le mec qui se prend la
tête, on s’est dit : « tiens,
ça c’est Wounded, c’est pertinent ». Cette fois, c’est un visuel plus
abstrait.
Vous avez essayé de faire ressortir de sentiments en particulier ?
Tim : La tristesse ?
Antoine : Oui et non.
Tim : Il n’y avait pas vraiment ce but de faire
ressortir des émotions.
Antoine : C’est un peu plus le cafard que sur Wounded, où il y avait des trucs un peu
dansants. Ici, un ou deux morceaux sont un peu plus tire-larmes. Mais je ne peux
pas dire pourquoi on est allés vers ça. Je crois que ça vient des musiques
qu’on a beaucoup écoutées, des truc assez "cafardants" donc c’est assez logique.
Mais on ne s’est pas dit : « ici,
on va évoquer la solitude ». Quand tu composes un morceau et que tu
trouves qu’il sonne bien, c’est difficile de l’expliquer, d’extérioriser en
mettant des mots dessus.
Tim : Quand on écoute ce qu’on a composé, dès qu’il y
en a un qui fait la blague de chialer (il imite des pleurs) on se dit : c’est
bien, il y a de l’émotion qui ressort.
En plus comme vous composez tous ensemble, c’est peut être
plus difficile de se focaliser sur des sentiments personnels, alors que c’est
le fruit d’un travail collectif ?
Antoine : Après, on a quand même une base commune au
niveau de ce qu’on aime bien en musique. On est sensibles aux mêmes
trucs : ce n’est pas pour rien qu’on se retrouve ensemble à faire de la
musique. On se retrouve dans tout ce que ça véhicule comme émotions.
Pour en revenir au vinyle, le label Limite Records a été
lancé pour vous par Xavier Daive. Est-ce que vous prévoyez de ressortir un
vinyle en collaborant à nouveau avec ce
label ?
Tim : On a été la première sortie de Limite Records, mais
juste pour un 45t. Après, on a créé notre label pour pouvoir assurer le
reste : Louis records. On s’entend toujours bien avec Xavier, mais on n’a
pas spécialement le projet pour l’instant de ressortir quelque chose avec lui.
Antoine : On a créé un label afin d’être en autoproduction.
On a un contrat de licence avec Naïve qui, assure la distribution. On propose à
Naïve un disque déjà finalisé en tous points. Comme ça, on a la liberté totale de
décider avec qui on fait nos clips et nos visuels. De toute façon, on n’est pas
un groupe extrêmement rentable, donc si en plus de ça on ne croit pas vraiment
en ce qu’on propose, je crois que ça devient un peu l’angoisse. Depuis toujours,
on a été assez proactifs. Ce genre de label va te proposer des choses quand tu ne sais pas vers quoi tu
veux aller, mais nous à Bruxelles, on a toujours travaillé avec des potes et notre
entourage proche ou lointain. On a pas besoin d’avoir recours à un label pour
ça, on a toujours bien aimé gérer ces trucs-là et se dire : « bah voilà, comme Fauve on est une corp
quoi ! ». Après, je crois que tous les groupes autoproduits ont
envie de travailler avec des gens qu’ils apprécient et c’est un peu chiant
d’avoir juste un mec au bout du monde qui t’envoie un truc et avec qui tu n’as
pas de discussion.
"Je ne crois pas qu’il y ait plus de bons groupes en Belgique, limite j’irais jusqu’à dire que c’est l’inverse !"
Quelles sont vos affinités avec la scène belge ?
Antoine : Nous, on vient d’un peu nulle part car on n’a
pas vraiment officié dans des groupes de dingues avant. Mais il y a des groupes
qu’on connaît depuis pas mal d’années qui commencent à monter, comme Robbing Millions.
Il y a toute une nouvelle scène qui commence à émerger sans que ce soit
orchestré par qui que ce soit, c’est vraiment des groupes qui proposent des
trucs de qualité et avec qui on s’entend vraiment bien. Comme le Colisée, que
notre manager manage aussi. C’est plus des gens qu’on croise tout le temps et
avec qui ça se passe super bien. Il y a eu toute une époque pendant longtemps
où il y avait une sale ambiance un peu dans la scène belge, où les gens se
tiraient dans les pattes et les médias s’en mêlaient pour essayer de monter les
uns contre les autres. Mais ce n’est plus du tout le cas. Franchement, il y a
une super ambiance et des gens qui ont envie de travailler ensemble, et c’est
plutôt prolifique.
Tim : Disons que depuis quelques années, il y a un
petit renouveau des groupes qui arrêtent un peu de fonctionner par petits
papiers, relations et familles de rock. Il y a une mouvance vers un truc qualitatif
qui se recrée. Hier, on jouait avec un groupe de pop garage, Mountain Bike. C’était
cool, c’était la première fois qu’on jouait avec eux. Après, on est contents lorsqu’on
se retrouve dans un autre pays avec
plusieurs groupes belges : si personne ne fait la fête, nous on le
fera !
Il y a une super scène en Belgique, dont on est assez jaloux
ici…
Antoine : Il y a une super scène en France aussi.
Justement en France quels groupes vous suivez, avec qui vous
aimeriez jouer ?
Tim : On a déjà joué avec pas mal de groupes, comme
Papier Tigre. On était assez impressionnés du niveau sonore qu’ils avaient
envoyé.
Antoine : Gomina avait fait notre première partie à la
Maroq’, c’est vraiment un super groupe de pop un peu shoegaze. En fait il y a
plein de groupes vraiment très intéressants.
Tim : D’ailleurs, il y a un super groupe qui s’appelle
Les Marquises qui vient de sortir un disque très beau. Ils ont joué à l’espace
B ici à Paris il n’y a pas longtemps, mais c’est des groupes qui sont assez
confidentiels.
Antoine : Vous pensez toujours que vous avez une scène
moins bonne, en fait vous avez tout autant de bons groupes, simplement la
presse est tellement focalisée sur certains groupes que les autres passent
complètement à la trappe et qu’il faut vraiment faire la démarche pour les
découvrir. Lorsqu’on tourne sur de petites dates, on est souvent étonnés de la
qualité des groupes. A Lyon, on avait joué avec Balladur, un groupe au nom
obscur, mais franchement pas mal.
Tim : Piano chat !
Antoine : Oui, Piano chat, qui joue demain en première
partie (du concert de Brns au Point Ephémère, ndlr). Les albums sont super
bien, le mec bosse avec Tiersen, mais ça reste confidentiel. Une fois que tu
passes les gros gros trucs, dans tous les festivals tu as pléthore de groupes.
Je ne crois pas qu’il y ait plus de bons groupes en Belgique, limite j’irais
jusqu’à dire que c’est l’inverse ! Parce que nous on a une espèce d’aura, tout
le monde dit : « ah ça c’est
belge alors c’est bien on va se ruer dessus ! ». Mais en fait, il
n’y a pas de scène belge, ca n’existe pas, c’est un terme journalistique. Après,
on écoutait un groupe belge hier qu’on ne nommera pas, c’était un quizz et on s’est dit « je ne sais pas ce que c’est mais c’est belge ! ».
Tim : Ca s’entendait. Mais on ne se disait pas que
c’était de la scène belge, on s’est juste dit que c’était du rock belge. Il y a un moment
comme ça où plein de groupes ont fait du rock avec des sonorités particulières,
des voix, une manière de mixer avec des guitares et des solos un peu « deussisant » et des trucs comme ça, tu vois.
Vous avez joué à Tallinn en mars, où vous avez reçu un super
accueil. Est-ce que vous avez envie de continuer à jouer dans des pays d’Europe
de l’est, et est-ce que vous avez des pistes depuis votre concert en
Estonie ?
Antoine : Figure toi qu’il y a peut-être une petite
tournée en Russie qui se profile fin juin. Il y avait essentiellement des
programmateurs russes dans la salle. Ce serait pour nous totalement fou d’aller
jouer en Russie ! Je ne sais pas s’il y a déjà des groupes belges qui sont
venus jouer en Russie… Dernièrement, je crois que c’est le truc le plus fort qu’on ait vécu.Tu y vas
sans avoir aucune idée de ce qui peut se passer. Les réactions du public étaient
tellement dingues. La dernière fois qu’on avait connu ça, c’était à Bratislava.
En Autriche, c’était super. Quand tu vas à l’est tu vois qu’ils n'ont pas forcément trop
accès à ce qui est musique indé, et qu'ils sont vraiment en demande de ça. C’est en
discussion, donc, oui. Ce serait pour aller jouer en Russie. Là, on va jouer à Ljubljana et on a peut-être aussi un plan en Lettonie...
La Playlist de BRNS
Propos recueillis par Aurélie Tournois // Photographe: Emmanuel Gond
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