Le soir des gitans
Goran Bregovic était de passage jeudi soir au Zénith. Le roi
du turbo folk Made In Balkans avait invité sur scène les stars de la grande
famille des cousins tziganes. On s’est mangé un niglo grillé avant d’aller
danser comme aux mariages et aux enterrements.
J’ai
ma petite méthode personnelle pour évaluer la qualité d’un concert. Des critères qui me permettent de ranger les
groupes dans mon panthéon privé des grandes messes musicales. Ils sont au
nombre de quatre et ont déjà couronné Jack White, Ben Harper ou Manu Chao.
Premier élément, si je profite des moments où le chanteur parle pour tenter de
finir ma nuit avec ma voisine, c’est que le mec sur scène ferait mieux de
jouer, plutôt que de raconter des banalités. Secundo, si je passe mon temps à
regarder ma montre pour estimer le temps restant de concert, c’est que les
cordes vocales du préposé au micro sont mal accordées. Si je quitte la fosse pour aller descendre
quelques godets à la buvette, c’est que le chanteur n’est pas un ambianceur, et
que quitte à avoir l’impression d’écouter un album, autant l’accompagner de
houblon. Enfin, si mon tee-shirt est réduit à l’état d’éponge, c’est banco. Le
classement final se mesurant à la surface de tee-shirt trempée. Autant le dire
tout de suite, avec Goran Bregovic sur scène, j’ai dragué personne, j’avais pas
de montre, j’ai pas bu une goutte de bière, et seules les manches de mon tee-shirt
étaient vierges.
Allumer
le Gas Gas
Le
concert commence par une première partie assurée en solo à la guitare sèche par
Nazim. De la variété avec des textes de hip-hop et surtout une reprise de
Superstition de Steevie Wonder. Mais un style trop éloigné de la suite du
programme pour enflammer le public.
Et
puis Goran. Pour ceux qui ne connaissent pas Mister Bregovic, il suffit d’avoir
vu un film d’Émir Kusturica et vous avez entendu les fanfares de Bregovic. Et quand
Kusturica est de sortie chez Les Guignols, il est accompagné d’une fanfare
bordélique, et de quelques poules, il est là aussi Goran. Le bordel c’est aussi
faire entrer la section cuivre par les gradins, histoire de faire tourner la
tête à tout le public du Zenith et de nous prendre par surprise en se pointant
sur scène en criant Gas Gas. Soit l’un des plus gros tubes de son répertoire.
Un hymne au bougeage de pieds. Dix secondes de concert, et premier pogo (d’où
le tee-shirt trempé). Je n’oserais même pas parler d’entrée en fanfare. Aller.
Si. J’ose. Une entrée en fanfare donc, avec à sa tête le fameux Orchestre pour
les mariages et les enterrements, soit une section cuivre de cinq musiciens et
un percussionniste. Accompagné de deux choristes en costume traditionnel,
quatre gratteurs de violons et six ténors costardisés.
La
Gipsy Family
Après
deux trois classiques envoyés avec les cuivres bien forts et les paroles criées,
Bregovic commence à appeler ses potes. Car ce concert du Zénith, c’est un peu
le mondial de la caravane, des gitans des quatre coins du globe débarquent pour
taper la chansonnette. Première sur la liste, une Irlandaise dont le nom sera
tu, pour ne pas que ses fautes de chant ne se généralisent. Le public masculin,
moi y compris, aura tout de même retenu ses courbes… gitanes. Se pointe ensuite
Stéphane Eicher, Suisse, tzigane et auteur de « Déjeuner en paix »
qu’il reprend au son de la fanfare. Le public chante, tout comme sur « Be
that man », extrait du dernier album de Bregovic, « Champagne for
Gypsies ». Quand Eicher sort de scène, il croise les dieux des manouches. Meilleur
qu’un pèlerinage aux Saintes-Maries-de-la-Mer, les Gipsy King, les mains
remplies de guitares arrivent sur scène et balancent d’entrée
« Maria ». Puis envoient « Balkaneros » de Bregovic avant
de passer à « Bamboleo ». Le Zénith crie, chante, danse. Et va
remettre une couche de pogo avec le débarquement d’Eugène Hütz, Sergey Ryabtsev
et Yuri Lemeshev de Gogol Bordello. Eugène arrive la bouteille de vinasse à la
main, l’estomac sans doute rempli de la même boisson, et le nez… enfin le nez
rempli quoi. Il tente de galocher les choristes avant de balancer « Pala
tute » son titre phare. La présence
de scène est telle que Bregovic laisse Hütz mener la bataille, avant de revenir
à la charge avec « Presidente » que le public fait résonner dans les
entrailles du Zenith.
Arme
de distraction massive
La
revue de famille remerciée, Goran se retrouve seul sur scène avec son orchestre
et décide de nous faire la guerre. En même temps c’est le public qui a demandé
un rappel. Dans les poumons, la nicotine demande pardon, mais il faut y
retourner, Goran ne va pas nous quitter sans nous (re)voir pogoter. Trois sons,
pour trois guerres. « Jeremiah » chanson à boire des soldats serbes
de la Première Guerre mondiale débute, Bregovic se vide un verre de whisky.
« Bella ciao » des résistants Italiens lors de la Seconde Guerre
mondiale y passe aussi, second verre. Et c’est tout haletant qu’un cri parcourt
notre corps «Cigani !! Juuuuriiiiiiiis !!! »,
« chargez » en serbe. Soit l’intro de « Kalasnjikov » plus
grand tube du Mister, une charge contre les trafiquants d’armes qui pullulent en ex-Yougoslavie. C’est le moment de lâcher ses dernières
réserves d’énergie. La salle bondit, pogote, chante. Je suis fatigué, assoiffé,
trempé, enchanté. Goran Bregovic est lui rangé. Dans mon panthéon perso. Dans
le tiroir tee-shirt trempé de bonheur.
Texte: Yann Butillon
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